Lola Lafon : Quand tu écouteras cette chanson

4ème de couverture :
Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment. Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ? Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.

A travers son expérience très forte de sa nuit passée dans l’Annexe du Musée Anne Frank, Lola Lafon fait résonner la voix de l’adolescente fauchée par l’histoire avec les fantômes de son propre passé, à l’histoire familiale de l’autrice, de sa propre judéité, à l’exil familial en France au début des années 1930, en passant par les membres de sa famille décédés à Auschwitz… et par cette grand-mère maternelle, Ida Goldman, survivante de la Shoah, qui lui a un jour offert une médaille dorée frappée du portrait d’Anne Frank, accompagnée d’une consigne : « N’oublie jamais ! »
Un récit intimiste d’une portée universel magnifique et bouleversant.

Quelques beaux passages :
-« Je dis Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l’aise. Je ne peux pas dire Anne, quelque chose m’en empêche, qui, au cours de la nuit, se matérialisera par l’impossibilité de rester dans sa chambre. Alors je dis Anne Frank, comme on évoque l’ancienne élève brillante d’un collège fantomatique. »
-« Dans ces familles, on conjuguera tout au « plus jamais » ; il y a ces pays où plus jamais on  ne reviendra – la Pologne, la Russie – des terres de persécutions. Il y a les langues que plus jamais on ne parlera.
Elles ne connaissent que les extrêmes, ces familles. L’exil ou la mort.L’héroïsme ou la mort. Naître
après, c’est vivre en dette perpétuelle. Chaque enfant sera un miracle. Il aura le devoir d’être sur-vivant. »
-« Peut-on, à treize ans, faire le tour de sa courte existence en moins d’un après-midi, la classer en deux colonnes, essentiel et non-essentiel ? Peut-on, à l’âge de treize ans, ordonner sa vie comme on pose une soustraction : en supprimer le « non-essentiel », un jeu, un livre, un pull, un chat, Moorje, auquel Anne Frank était tellement attachée. »
-« Le visage de profil, elle parle comme on s’acquitte d’un devoir. […/…] D’un geste de la main, elle place des guillemets dans l’atmosphère. « A Bergen-Belsen, nos conditions de « vie »… ». Puis elle s’interrompt. Il faudrait de nouveaux mots pour dire.
Ou alors aucun.
Elle abandonne les mots, ils cèdent la place au souffle de la dame, un souffle heurté.
3Les conditions de… survie… au camp de Bergen-Belsen… c’était… »
(souffle) »
-« Quand l’arbre généalogique a été arraché, la naissance d’un enfant revêt une importance particulière : le nouveau-né devient une preuve de survie. Il ne pourra se contenter d’exister. Il héritera d’un devoir : celui de vivre plus fort, pour et à la place des disparus.
Comme il est lourd, ce cadeau. »

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