Andréï Kourkov : Les abeilles grises

4ème de couverture :
Dans un petit village abandonné de la « zone grise » coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux « laissés-pour-compte » : Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce « no man’s land », ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer,pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d' »apithérapie ». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part à l’aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et du silence des montagnes de Crimée, l’œil de Moscou reste grand ouvert…

Ce dernier roman d’Andréï Kourkov résonne très fort avec l’actualité ! Nous sommes en 2017 dans cette « zone grise » et là Kourkov nous raconte avec une grande humanité l’absurdité de cette vie de survie pour ces deux hommes, dans une pénurie totale, sans électricité, sans courrier, parmi des champs creusés de  trous d’obus, où les bombes peuvent pleuvoir n’importe quand et n’importe où sans raison et où le temps n’est rythmé que par un réveille-matin ! Dans la deuxième partie du livre, Kourkov nous entraîne dans une odyssée à travers le pays, du Donbass à la Crimée picaresque mais toujours sourde d’une menace omniprésente ! Kourkov souligne l’absurdité des guerres et du monde des humains qu’il oppose à la sagesse du monde des abeilles. Un véritable coup de cœur !

Quelques beaux passages :
-« Tous les bruits discrets, qui ne suscitent pas l’agacement ni ne font se retourner, deviennent au bout du compte des éléments du silence. Il en était autrefois du silence de la paix. Il en était devenu ainsi du silence de la guerre, où le fracas des armes avaient évincé les bruits de la nature, mais à force de lassitude, était devenu coutumier, s’était comme glissé lui aussi sous les ailes du silence, avait cessé d’attirer l’attention sur lui. »
-« Il se dit que les humains pourraient apprendre des abeilles. Les abeilles, grâce à leur discipline et leur travail, avaient construit le communisme dans les ruches. Les fourmis, elles, étaient parvenues à un vrai socialisme naturel. N’ayant rien à produire, elles avaient juste appris à maintenir l’ordre et l’égalité. Mais les humains ? Il n’y avait chez eux ni ordre ni égalité.  »
-« Il avait laissé derrière lui les « erpédistes » et les soldats ukrainiens. Derrière lui le grondement des canons proches et lointains. Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles, ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains. Les abeilles avaient beau voler, elles ne parcouraient jamais plus de cinq kilomètres, et par conséquent rien n’était à leur portée sauf la tâche essentielle à laquelle Dieu et la nature les avaient destinées : la miélaison. Voilà pourquoi il était en route, pourquoi il les transportait. Il les conduisait là où régnait le calme, là où l’air s’emplissait peu à peu de la douceur des fleurs des champs, où la symphonie de ces fleurs serait bientôt soutenue par celle des cerisiers, pommiers, abricotiers et acacias. »
-« Les poètes sont des gens inoffensifs. Pas comme les politiciens ! »
– » La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l’existence humaine. Il les comparait et ce n’était pas à l’avantage de la seconde. »

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