Isabelle Autissier : Oublier Klara

4ème de couverture :
Mourmansk, au Nord du cercle polaire. Sur son lit d’hôpital, Rubin se sait condamné. Seule une énigme le maintient en vie : alors qu’il n’était qu’un enfant, Klara, sa mère, chercheuse scientifique à l’époque de Staline, a été arrêtée sous ses yeux. Qu’est-elle devenue ? L’absence de Klara, la blessure ressentie enfant ont fait de lui un homme rude. Avec lui-même, avec son fils Iouri. Le père devient patron de chalutier, mutique. Le fils aura les oiseaux pour compagnons et la fuite pour horizon. Iouri s’exile en Amérique, tournant la page d’une enfance meurtrie.
Mais à l’appel de son père, Iouri, désormais adulte, répond présent : ne pas oublier Klara ! Lutter contre l’Histoire, lutter contre un silence. Quel est le secret de Klara ? Peut-on conjurer le passé ? Dans son enquête, Iouri découvrira une vérité essentielle qui unit leurs destins.

Très beau roman où Isabelle Autissier nous invite à un voyage géographique dans une nature sauvage mais aussi temporel avec des passages poétiques qui viennent adoucir la dureté au quotidien de ce pays.

Quelques beaux passages :
– « Devait-il s’honorer d’avoir pour aïeul cette femme qui avait fait basculer le roman familiale ? Au nom de quoi cette trace indélébile avait-elle été infligée, bouleversant la vie de son père et la sienne ?
Rubin resta longtemps silencieux. Puis sembla puiser dans une dernière réserve d’énergie.
– Je n’ai jamais su. Jamais pu savoir. Et …
Sa voix passa dans un étrange registre, presque enfantin.
Pour un homme dont l’audace avait guidé la vie et qui avait tenté de l’imposer à coups de ceinture à son fils, l’aveu était aussi imprévu qu’incongru.
Iouri ressentit un vertige. Il savait d’avance ce que son père allait lui demander. Il ne pourrait pas refuser, mais tout, en lui, se dressait contre cette perspective. […/…] Rubin le piégeait une dernière fois. Malgré son impossible caractère et sa violence, il devenait une victime qu’il fallait secourir. Iouri s’arc-bouta mentalement pour refuser la proposition qu’il sentait poindre. Mais il y avait Klara, sa grand-mère, il et ce récit qui ne pourrait plus jamais ignorer, un fétu dans le tourbillon de l’Histoire, mais une poutre pour sa propre famille, un nom dans la litanie des sacrifiés, mais le nom qu’il portait. Le regard bleu pâle de Rubin se planta dans ses yeux.
– Tu dois trouver. Vite, avant que je crève. Au moins que je sache.
Enfin il lâcha l’inconcevable.
–  Je t’en prie. »
– « On ne dit pas « mourir » dans cette génération qui en a vu trop disparaître avant l’heure. « Partir » est plus pudique. »
– « Les oiseaux étaient ce qu’il ne serait jamais : des êtres puissants et libres. Il se prit à rêver d’être l’un d’eux. Quittant ce corps mal aimé il fermait les yeux, étendait ses ailes et s’élançait du haut des mats. La neige souillée du quai s’estompait. Les navires ressemblaient à des jouets et la ville tout entière ne figurait plus qu’une tâche, un artefact perdu entre la blancheur de la forêt sous la neige et la noirceur de la mer. De là haut il pouvait scruter le monde, le dominer. Il sentait le vent lui caresser le ventre, ébouriffer ses plumes, peser sur ses muscles. Il devenait élégant, adroit et percevait les regards envieux des pauvres humains cloués au sol. »
– « Les jours passant, elle se sentit de plus en plus sale. Elle puait et en avait honte. Même au cœur de la guerre, elle avait toujours trouvé un robinet d’eau froide. Elle réalisait que la prison ne signifiait pas seulement l’impossibilité d’aller et venir, mais la contrainte pour le moindre geste de la vie quotidienne. « 

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